Rencontre avec Eric SIMARD

Interview accordée par Éric Simard à la classe de 5ème B et le club lecture lors de la rencontre du 22 mars 2012 au collège « Les Colliberts »
Éric Simard, Sohane l’insoumise, Mango, « Autres mondes », 2005
1- Pourquoi avez-vous voulu devenir écrivain ?
Adolescent, j’avais un journal intime que je considérais comme un confident, un ami. Depuis, à l’âge adulte, j’ai compris qu’à l’époque, sans m’en rendre compte, je m’exerçais à aller chercher les mots justes qui me permettraient d’exprimer ma pensée avec le plus de précision possible ; c’était, pour moi, sans que j’en sois conscient, une façon de m’exercer à écrire, de me préparer au métier d’écrivain. C’était une façon d’aiguiser mon regard, de dire les choses le plus justement possible. Depuis plusieurs années, je consigne sur des carnets les histoires, les idées qui me viennent à l’esprit ; je m’en sers ensuite si nécessaire pour écrire mes romans. Il n’existe pas de diplôme d’écrivain ; c’est un métier étrange que j’ai appris petit à petit, grâce à des enseignants, des maîtres, des amis qui m’ont aidé.
Pourquoi suis-je devenu écrivain ? Non pas pour dénoncer les injustices du monde, mais parce que j’ai vécu une rencontre : j’ai rencontré le poète grec Démosthénès Davetas dans un club de basket parisien ; cette rencontre a été le début d’une longue amitié qui m’a permis de comprendre ce qu’est l’écriture. En fait, on écrit à partir de ce que l’on a vécu, à partir de la colère et des peurs qu’on a éprouvées. Puis l’écriture est devenue une passion.
2- Avez-vous une autre occupation en dehors de l’écriture ? un métier secondaire par exemple ?
J’anime des ateliers d’écriture et je rencontre de jeunes lecteurs dans les établissements scolaires.
3- Parmi tous les livres que vous avez écrits, lequel préférez-vous ? Lequel a eu le plus de succès ?
Non, je n’ai pas de livre préféré. Celui qui a le plus de succès est celui qui vient de paraître, un livre qui traite de mythes celtiques.
4- Comment se déroule la publication d’un livre ? Certains de vos livres ont-ils été refusés ?
J’ai envoyé mon premier livre (Le Sortilège des fourmis, un roman dans lequel une fourmi découvre qu’elle a un poil sur la tête !) à quinze éditeurs sans me renseigner sur le type d’ouvrages que ces derniers publiaient. C’était une bouteille que je lançais à la mer ! Après de nombreuses réponses négatives, le quinzième éditeur m’a téléphoné pour me dire que mon manuscrit était accepté.
Une fois le manuscrit accepté, l’éditeur demande au maquettiste de réaliser la maquette du livre : c’est ce que l’on appelle une épreuve sur laquelle l’auteur peut apporter toutes les corrections qu’il souhaite. Pour ma part, j’effectue beaucoup de corrections sur les épreuves de mes livres, en appliquant le principe que le mot « littérature » peut être
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compris comme « Lis tes ratures » : en effet, il n’y pas d’oeuvre sans corrections, souvent très nombreuses. À cette étape de la réalisation du livre, il peut y avoir des conflits entre l’auteur et l’éditeur, notamment à propos du titre définitif de l’oeuvre.
Ensuite, l’illustrateur réalise la couverture. Enfin, une fois terminée, l’épreuve est envoyée à l’imprimeur qui effectue les tirages ; un exemplaire est adressé à l’auteur.
5- Comment procédez-vous pour écrire vos livres ? Quelles sont les différentes étapes ?
Il est très facile de commencer un livre, mais bien plus difficile de le terminer. De multiples brouillons (cinq ou six par roman, mais parfois beaucoup plus, une dizaine) sont nécessaires avant d’aboutir à la version définitive du livre. Au début de l’histoire, dans Sohane, Sohane et Elam partaient avec Tork en fusée ; un enfant les accueillait. Le début du roman tel qu’il a été publié ne ressemble pas du tout à cela. Au fil des brouillons, on améliore : on construit un roman comme on construit une maison, brique par brique, a dit l’un d’entre vous ; en effet, il y a, en littérature, comme en architecture, des règles à suivre.
6- Si, demain, je décidais d’écrire un livre, quels conseils me donneriez-vous ?
Je te dirais : « N’écris pas pendant un an ; si, au bout d’un an, l’écriture te procure une joie intense, c’est que l’écriture est pour toi une passion. Sinon, oublie, fais autre chose ! » Une fois que tu as fini ton livre, fais-le lire à ton entourage, à ton professeur de français par exemple. Personnellement, j’ai attendu douze ans avant de proposer mon premier livre à un éditeur. Par peur, manque de confiance, j’ai attendu l’âge de trente-cinq ans, alors que j’avais commencé à écrire à vingt-trois ans.
7- Où trouvez-vous votre inspiration ? Dans les faits divers ? Parmi les faits réels ? Dans la presse ? Pour les prénoms de vos personnages notamment ?
Cinq ou six choses m’ont inspiré. Quand je commence un livre, je tire un fil sans savoir s’il est long de dix centimètres ou de plusieurs kilomètres : quelquefois, j’arrête de travailler au bout de deux jours ; parfois, je travaille sur le sujet pendant deux ans. « Suryone » dans Sohane vient du nom du village où j’ai passé mon enfance, « Pont-sur-Yonne » ; le nom des Mi’kmag provient d’amis rencontrés un jour, appartenant à cette tribu. Quand j’écris, je compose un puzzle à l’aide de souvenirs qui m’ont touché, provenant de différentes époques de ma vie.
8- Pourquoi écrivez-vous des livres sur la discrimination en général ?
Je suis sensible à l’injustice ; c’est une hypersensibilité qui date de mon enfance. Les livres sont écrits pour faire rêver ; ils aussi écrits pour faire réfléchir
9- Comment avez-vous eu l’idée de traiter le sujet de la violence faite aux femmes pour écrire Sohane l’insoumise ?
C’est un fait divers qui m’a inspiré.
(Les élèves n’ayant pas étudié Sohane l’insoumise en classe avec Mme SAPINAULT sont invités à s’informer en lisant le document qu’elle a affiché dans la salle où elle a cours, actuellement salle 21. Ndlr)
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10- Pourquoi avoir écrit cette histoire en la situant dans le futur, sous la forme d’un roman de science-fiction ?
J’ai écrit Sohane l’insoumise après un coup de tristesse, quand j’ai entendu parler de Sohane Benziane. J’avais deux solutions, soit faire une enquête dans la banlieue où la jeune fille vivait, soit m’écarter du fait divers, en m’en inspirant, pour écrire une histoire imaginaire traitant de la condition des femmes dans certains pays du monde.
11- Dans quel but présentez-vous des sociétés aussi différentes dans Sohane l’insoumise ?
Pour faire bouger le lecteur : il n’existe pas une seule manière de vivre dans le monde. J’ai voulu écrire de façon à ce que les hommes et les femmes puissent vivre ensemble : « comme les deux ailes d’un oiseau, les hommes et les femmes ont la même valeur ».
12- Est-ce que, pour vous, le clan des Mi’kmag représente la société idéale ?
Cette société présente des aspects que j’aime comme le respect de l’autre, des Anciens, de la nature. Mais il ne faut pas tomber dans le mythe du « bon sauvage », car les sociétés dites primitives peuvent avoir aussi des défauts. Par exemple, selon moi, cette société accorde trop d’importance à la magie dans l’explication des phénomènes naturels. Le couple de Mi’kmag que j’ai rencontré était très harmonieux ; c’est parce que j’ai sympathisé avec lui que j’ai voulu leur donner une place dans mon roman.
13- Si, un jour, vous décidiez d’écrire la suite de Sohane l’insoumise, quelle serait-elle ?
Je n’ai pas prévu de suite, pour l’instant du moins. Le plus important, pour moi, était qu’ils surmontent leur haine et qu’ils finissent par s’aimer. Je laisse mes personnages être libres de devenir ce qu’ils veulent.
14- Avez-vous des projets de films, notamment pour adapter Sohane l’insoumise au cinéma ?
Ce serait intéressant : pourquoi pas ?
15- Projetez-vous d’écrire de nouveaux livres ?
J’ai cinq à six projets ; depuis quelques années, je peux jongler avec plusieurs balles, en réfléchissant à plusieurs projets à la fois. Au début, ce n’était pas le cas. Mon prochain livre s’intitulera Trop fort, Tony ! C’est un roman qui évoque le dopage dans le milieu sportif.
16- De nombreux adultes (des parents d’élèves en particulier) ont été passionnés par votre roman. Pour qui écrivez-vous ? Pour les jeunes, les jeunes en devenir, les adultes ?
J’écris pour moi ; les éditeurs à qui j’ai envoyé mes livres m’ont souvent dit que ce que j’écrivais intéresserait plutôt les jeunes ; mais ce n’est pas spécialement pour eux que j’écris.
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17- Faut-il comprendre le nom de Kerphall comme une composition de « Ker » (maison/village en breton) et de « phall » en tant qu’abréviation de « phallocratie » (domination des hommes) ?
Oui, bien sûr. C’est « la terre des hommes », « la terre faite pour eux ».
Les noms de lieux et de personnages ont beaucoup d’importance dans les textes de fiction. Pensez à la marque au fer rouge en forme de C que Sohane transforme en S ; on peut l’interpréter comme une façon pour elle d’annuler le châtiment qu’elle subit en mettant en avant son identité. On peut aussi comme votre camarade (qui vient d’intervenir) interpréter le C comme l’initiale de « courage » et le S comme celle de « soulager » ; en effet, c’est le courage qui soulage Sohane. Le prénom Elam peut, quant à lui, être interprété de plusieurs façons, comme un rappel à l’ordre signifié au héros : « Et l’âme ? » , « Que fais-tu de ton âme, Elam ? » ou bien comme le palindrome* (= le même mot lu à l’envers) du mot « mâle ».
Mise en forme et saisie de Madame SAPINAULT, professeur de français
(Année scolaire 2011-2012)
Aboutissement d’une séquence de travail effectuée avec sa classe de 5ème B, en collaboration avec Madame FRADET, dans le cadre d’une participation aux rencontres d’écrivains organisées par la Médiathèque « Paul Menanteau » de Luçon pour le Salon du Livre Jeunesse de mars 2012.
Collège « Les Colliberts »
7 boulevard Pasteur
85580 Saint-Michel-en-l’Herm

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